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Les "a priori" sur la classe inversée

EPS

samedi 18 novembre 2017, par Cédric Vernoud

Les auteurs :
- Jérémy Jacques, Professeur EPS Collège J. Prévert - Chalon S/Saône (71)
- Cédric Vernoud, IAN EPS Académie de Dijon, Professeur EPS Lycée Prieur de la Côte d’Or - Auxonne (21)

Parution revue EPS 377, Septembre-Octobre 2017.

Introduction

La classe inversée, on en parle beaucoup !
Entre d’un côté les partisans et de l’autre les opposants, la majorité des enseignants restent songeurs et se posent beaucoup de questions : est-ce une mode passagère ? Un gadget pédagogique ? Une approche efficace ?

En 2015, dans le cadre des TRAam[ TRAAM : Les travaux académiques mutualisés], une petite équipe de l’académie de DIJON a expérimenté la Classe inversée en EPS. Après en avoir proposé une définition en EPS[ mobilisation de ressources hors du cours d’EPS (connaissances, collaboration, auto-évaluation) qui vont permettre la mise en œuvre et l’optimisation de la compétence en cours d’EPS.] nous avons fait l’hypothèse qu’une pédagogie mettant en œuvre le principe de classe inversée, faciliterait l’enseignement et la notation par compétence.
Pour autant la spécificité de l’EPS (au regard des autres disciplines) où la compétence[ La compétence s’exprime dans une tâche complexe mobilisant beaucoup de ressources différentes et liées entre elles.
] ne peut s’exprimer que dans le cours, dans l’action motrice et dans un contexte déterminé, nous a demandé un réel effort d’explicitation et de clarification de ce type d’approche dite “inversée”.
Ainsi dans un souci formatif et pour convaincre nos collègues, nous avons posé sur la table un certain nombre d’a priori entendus sur cette pratique, et tenté d’y apporter une réponse en fonction de nos diverses expériences dans le domaine.

Pour certains collègues, la classe inversée serait :

1) ... des devoirs en EPS !

Souvent entendue, cette remarque s’appuie sur la définition simplifiée de la classe inversée : les cours (enseignement) à la maison, devoirs (apprentissage) en classe. Ainsi, les enseignants d’EPS imaginent mal qu’un élève puisse “apprendre” un cours d’EPS à la maison et encore moins qu’ils puissent donner des devoirs, terme totalement absent de leur vocabulaire.
Alors oui, c’est une activité en dehors du cours d’EPS, mais pas forcément un devoir au sens institutionnel du terme. Mais plutôt une extension, un prolongement (externalisation) du cours dans une optique de répétition, de continuité, de clarté et d’accès (pour les absents, les parents...). Une sorte de “super cahier de texte multimédia”.

À titre d’exemple, le gymnase, le stade ou la piscine sont des lieux bruyants ou étendus, où les consignes ne peuvent pas toujours correctement transmises à l’ensemble des élèves. La classe inversée permet de mettre en ligne (audio, vidéo, textes, images) les consignes d’un test VMA, l’explication de référentiels d’évaluation par exemple. Nous sommes convaincus que cet effort d’explicitation facilitera les apprentissages ultérieurs des élèves

2) …des vidéos remplaçant le rôle central du professeur dans l’acquisition des contenus.

Cette réflexion est légitime et renvoie à un débat bien plus large sur la place et le rôle du professeur dans cette société où le savoir est partout accessible. L’inquiétude face aux géants de l’internet qui lorgnent sur le marché de l’éducation et de la formation en ligne est grande dans le milieu éducatif.

Pour autant, il serait utopique de croire que les capsules vidéos remplacent l’intervention du professeur en cours. Par contre, nous pensons qu’elle peut modifier en profondeur la nature de son intervention. Pour nous, une vidéo bien construite (moins de 3 minutes, ciblée sur quelques contenus pertinents, enrichie de ralentis, zoom…) peut remplacer avantageusement le discours ou la démonstration face à une classe et permettre de gagner du temps dans la séance.
Bien sûr, l’apprentissage en EPS est le fruit d’une mise en relation de repères ressentis pendant l’action avec le résultat de ces actions. Pour autant, on connaît le rôle déterminant de la démonstration dans l’apprentissage en EPS[ la conceptualisation de la tâche permet de réduire de ⅔ la durée moyenne d’acquisition (FITT 1967).
Les processus cognitifs (imagerie cérébrale) impliqués lors de l’observation d’un modèle sont similaires à ceux requis pour lors de l’exécution motrice (ADAMS 1986)]. Ce qui est valable pour la démonstration ne le saurait pas aussi pour une vidéo ?

Nous pouvons prendre comme exemple l’apprentissage du tir en basket. Après avoir identifié les groupes de besoin dans la classe (apprentissage ou perfectionnement), l’enseignant invite ses élèves à consulter avant le cours les 3 ateliers d’apprentissage du tir en course. Cette capsule met en avant le déroulé de l’exercice, le critère de réussite et les critères de réalisation. Lors de l’arrivée en cours, les élèves connaissent leur groupe de besoin et les ateliers à réaliser.
L’intervention de l’enseignant se résume à organiser l’espace et les rotations en début de séance et non à expliquer tous les points précédents. Le temps ainsi dégagé lui permet d’accompagner les élèves dans leurs tentatives. Il peut aussi s’appuyer sur certaines images clés de la vidéo pour alerter l’élève sur un point particulier.
Et l’élève qui n’a pas regardé la vidéo nous direz-vous ? Ce dernier a accès au moment de la sortie des vestiaires aux situations via une ou plusieurs tablettes numériques. Il peut aussi retourner au cours de la leçon pour visionner à nouveau tout ou partie de la vidéo, ou se remémorer (découvrir) l’atelier suivant. L’idée qui nous guide est de concentrer notre intervention sur l’accompagnement des élèves, et de nous servir des outils numériques à disposition pour nous décharger de toutes les tâches organisationnelles, souvent chronophages. Ce modèle d’organisation est à moduler en fonction du type de public que nous avons en face de nous.

Comme vous le voyez, la place de l’enseignant est centrale dans le dispositif pour réguler les élèves. Ce n’est pas parce que ces derniers savent ce qu’il faut faire et comment le faire, que forcément ils y arrivent. Connaître la règle du “marcher” au basket ne présage en rien pour l’apprenant de sa capacité à pouvoir siffler un “marcher” lors d’un match. Selon nous c’est une condition indispensable pour tendre vers cette compétence de l’arbitrage. L’accompagnement tout comme la place et les apprentissages des élèves restent donc centraux dans cette approche.

3)...inutile !

Le détour par une base de connaissances n’est pas nécessaire pour produire des comportements efficaces : un aménagement du milieu est suffisant pour faire évoluer la motricité de l’élève.

Cette vision est en partie vraie, mais une approche basée sur les connaissances vise à doter les élèves d’outils susceptibles de les aider à chercher par eux-mêmes une solution lorsqu’ils seront confrontés à un problème nouveau. “Cette adaptabilité n’est permise que si tous les élèves, les " nuls ", les champions et les autres, accèdent à la connaissance.”[ Terré, N. (2007). Unifier les connaissances, diversifier les compétences. Les cahiers EPS n°35 (p.13)]

4)... du travail en plus et surtout réservé aux enseignants experts en informatique.

Remarque souvent entendue et pas complètement fausse. En effet, lorsque le professeur créé ses propres vidéos ou exercices en ligne, la charge de travail est importante, du moins au début et demande d’aimer, a minima, l’environnement informatique.

Cependant à un premier niveau, le travail du professeur consiste à trouver la ressource qui correspond au contenu qu’il souhaite faire passer aux élèves. Il est à noter que depuis peu, les capsules vidéos EPS se développent de plus en plus sur la toile. Charge à celui-ci d’opérer un choix et de proposer à l’élève un lien (simple copier/coller) vers ces ressources. Il peut, par exemple, utiliser le cahier de texte numérique ou un espace groupe dans l’ENT (quand il existe). Des outils numériques[ Par exemple Pearltrees qui permet d’organiser, explorer et partager les ressources http://www.pearltrees.com/ ] permettent de mutualiser ces ressources au niveau d’une équipe, d’une académie par exemple, voire à un niveau national.

En outre, la charge de travail n’est pas plus importante que lorsque nous débutons dans le métier et que nous créons notre cheminement didactique. Simplement ici nous allons le réfléchir dans une optique de mise en ligne et d’interactivité et non pas pour nous, pour notre classeur.
Le travail à la maison de l’enseignant pour préparer ses cours, souvent ignoré ou sous-estimé[ sans parler des remarques sur le travail à la maison des “profs de sport” qui n’ont pas de copies à corriger, eux !], devient explicite. Cette méthode le rend visible de tous.

5)... à la mode, un gadget pédagogique !

Encore un “poncif” souvent déclaré et qui s’explique parfois par une certaine lassitude des enseignants à voir passer des réformes , des méthodes , des avancées , des retours en arrière et cette furieuse impression de toujours tout recommencer.

Pour autant, cette approche n’est pas “à la mode”. Elle existe depuis plus de 15 ans. Simplement, elle s’est démocratisée sous l’impulsion des avancées du numérique. Aujourd’hui faire entrer l’école dans l’ère du numérique n’est pas qu’un slogan. Toute la société, notre façon de travailler, de consommer et de nous divertir est bouleversée par cette révolution. L’accès au savoir est permanent, la connaissance est accessible à tous moments, en tous lieux. La frontière école / maison n’a plus de sens par rapport aux savoirs. Il semble difficile d’attendre que la mode passe. L’inversion n’impose pas le numérique, mais le numérique facilite l’inversion !

Si parfois, il y a 15 ans, un enseignant d’EPS donnait un document papier avec quelques principes d’échauffement pour que l’élève le prépare pour la prochaine séance ; aujourd’hui rien de révolutionnaire ! Il va proposer à l’élève via son ENT , un lien vidéo ou autre pour le même objectif.

6) ...une succession de quiz !

Cette crainte souvent exprimée renvoie à la généralisation des QCM dans les années 1990 quand l’EPS se devait d’évaluer une partie “connaissance de l’activité”. Certains collègues y ont vu une perte de sens de la discipline devenue trop “scolaire”.

Le recours aux quiz en ligne facilite l’accompagnement de l’élève à distance. Ces questionnaires n’interviennent pas de façon anarchique dans le cycle, mais sont anticipés et intégrés dans un scénario pédagogique plus global de l’enseignant.
Cet outil lui permet de cibler certaines notions importantes que l’élève doit connaître, de faire prendre conscience des critères de réalisation avant le cours.

Prenons un exemple tiré de notre pratique professionnelle pour illustrer ce point :.
Nous souhaitons sensibiliser les élèves d’une classe de seconde à la notion de “vérification mutuelle” en escalade.
Cet aspect sécuritaire incontournable en escalade est résumé par l’enseignant autour de 4 étapes à respecter avant chaque ascension [ http://viewpure.com/-bOx7W25b2g?start=0&end=0 ]. Pour favoriser l’acquisition de cette vérification, l’enseignant propose à ses élèves de répondre à un quiz formatif (ou éventuellement sommatif, l’ENT le permet...) de 8 questions (association, choix unique-multiple, texte à trous…) qui feront appel aux informations présentes dans la capsule vidéo et à l’analyse d’un ou plusieurs cas pratique (par exemple, une photo prise d’un encordement sans nœud d’arrêt, une vidéo montrant une personne grimpant avec des vêtements amples par-dessus le baudrier…). Un feedback automatique peut être programmé en fonction des réponses (justes ou fausses) de l’élève.
Avant son cours, l’enseignant peut vérifier aisément si les notions sont acquises et cela lui permet d’ajuster éventuellement sa future intervention.
La simplicité de mise en place, les feedbacks immédiats et différenciés en fonction des réponses (difficile avec un format papier) font de ces outils un allié efficace pour la classe inversée. Certains logiciels de gestion de vie scolaire[ Pronote par exemple] permettent même de mutualiser entre collègues d’une même équipe ces questions.

7)...pour les “bons scolairement, cela favorise les élèves qui sont déjà autonomes !

Certains diront qu’au contraire, grâce à la classe inversée, nous réussissons enfin la différenciation , que le professeur se “dédouble” grâce aux capsules et qu’il peut enfin aider tout le monde et gérer l’hétérogénéité de sa classe.

Notre expérience a pu montrer que l’aide apportée par le visionnage d’une vidéo avait plus de sens pour les élèves en difficulté en EPS (qui ont besoin de plus de temps pour comprendre le geste, ou le déroulé de l’action) que pour “les bons en EPS” dont l’exécution motrice (y compris dans une nouvelle tâche) repose sur leurs ressentis et leur vécu sportif ; ceux-ci accordent donc moins d’importance et de sens à la vidéo. Pour ces élèves en difficultés, les attendus de l’enseignant deviennent, au contraire, plus explicites.
"Enseigner plus explicitement" semble être un levier efficace pour les apprentissages de tous les élèves, et particulièrement ceux les plus scolairement fragiles. Si nous nous référons aux textes récents de l’institution scolaire[ référentiel de l’Éducation prioritaire (« enseigner plus explicitement les compétences que l’école requiert pour assurer la maîtrise du socle commun »], mais aussi plusieurs courants de la pédagogie ou de la recherche, "l’explicitation" contribuerait à réduire les inégalités scolaire[ Centre Alain Savary (2016), Enseigner plus explicitement, “l’essentiel en 4 pages”, En ligne sur http://bit.ly/1PmzI1b, consulté le 28/09/2017.] écrit le Centre Alain Savary qui propose 4 pages sur l’enseignement explicite.

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En conclusion, loin du débat passionné entre détracteurs et promoteurs[ Nous invitons le lecteur à lire à ce sujet cet article sur le blog de Marcel LEBRUN http://lebrunremy.be/WordPress/?p=868], nous nous sommes attachés dans cet article à répondre simplement à chaque a priori entendu au gré de nos discussions avec nos collègues professeurs d’EPS sur cette méthode d’enseignement. Nous espérons ainsi lever en formation et chez les lecteurs certains “blocages” argumentaires, pour pouvoir ensuite réellement entrer dans les aspects techniques et méthodologiques de cette approche.

Remarques :

- TRAAM : Les travaux académiques mutualisés
- Notre définition de la Classe inversée en EPS : mobilisation de ressources hors du cours d’EPS (connaissances, collaboration, auto-évaluation) qui vont permettre la mise en œuvre et l’optimisation de la compétence en cours d’EPS.
- La compétence s’exprime dans une tâche complexe mobilisant beaucoup de ressources différentes et liées entre elles.
- la conceptualisation de la tâche permet de réduire de ⅔ la durée moyenne d’acquisition (FITT 1967). Les processus cognitifs (imagerie cérébrale) impliqués lors de l’observation d’un modèle sont similaires à ceux requis pour lors de l’exécution motrice (ADAMS 1986)
- Terré, N. (2007). Unifier les connaissances, diversifier les compétences. Les cahiers EPS n°35 (p.13)
- Par exemple Pearltrees qui permet d’organiser, explorer et partager les ressources http://www.pearltrees.com/epsdijon